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Cabinet des Estampes et des Dessins
Le Cabinet des Estampes et des Dessins conserve une collection riche de quelque 150 000 œuvres graphiques, couvrant cinq siècles dans les domaines et les techniques les plus variés : beaux-arts, arts décoratifs, architecture, histoire, arts populaires…
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Gravée par l’un des plus grands artistes florentins du Quattrocento, cette estampe représentant dix athlètes nus, est exceptionnelle à plus d’un titre. Antonio Pollaiuolo, fils d’un marchand de volailles comme son nom l’indique, était orfèvre, sculpteur, peintre et graveur. Or, son activité de graveur se concentre toute entière dans la planche gravée du Combat d’hommes nus ; unique dans son œuvre, cette estampe est pourtant considérée comme l’une des plus remarquables de l’histoire de cet art. Cette pièce monumentale (la plus grande gravure du Quattrocento), est surprenante par sa conception, sa technique, son thème. Le célèbre historien, peintre et architecte G. Vasari (1512-1574), profondément impressionné par cette estampe, n’a pas manqué de saluer dans Le Vite la modernité de Pollaiuolo, dans sa manière d’étudier concrètement l’anatomie, et d’approfondir ses connaissances de l’agencement interne des chairs et des muscles, à seule fin de donner une corporéité réelle à ses figures d’hommes.
Le Combat d’hommes nus est aussi la première estampe gravée par un grand maître et signée de son nom. La signature latine révèle la conscience qu’avait l’artiste d’édifier une œuvre magistrale, et sa fierté à s’identifier comme Florentin.
La composition, s’inspirant des scènes de batailles des reliefs antiques décorant les sarcophages, réunit dix athlètes nus qui, armés de glaive, hache, arc ou poignard, semblent emportés dans un vif combat. Plus proche d’une chorégraphie que d’une lutte véritable, la disposition quelque peu artificielle des combattants permet de montrer la figure masculine nue sous différents angles (de face, de dos ou en pleine torsion). Ces prototypes de figures héroïques à l’anatomie magnifiée ont certes servi de modèles aux artistes en Italie comme au nord des Alpes mais la feuille gravée ne se réduit cependant pas à cette interprétation première.
L’enjeu de ce combat est difficile à déterminer. Deux groupes de deux guerriers, et deux groupes de trois s’affrontent, sans qu’il soit possible de distinguer les protagonistes de leurs adversaires. Le ruban qui ceint la chevelure de certains d’entre eux ne permet pas davantage de différencier les forces en présence, puisque le guerrier au ruban, debout à droite, s’apprête à frapper de sa hache un combattant portant le même ruban.
La chaîne que se disputent les deux figures centrales semble jouer un rôle important dans le combat, sinon en être le point de départ. La présence de longs épis de blé, d’oliviers et de vigne emmêlée qui ornent le fond du tableau, pourrait évoquer le sacrifice du Christ au travers des motifs symboliques et sacrés que sont le pain, le vin et l’olivier, sans pour autant clarifier l’éventuel lien entre ces emblèmes et le combat.
La gravure a donné lieu à diverses interprétations, dont la plus probable, selon Gisèle Lambert, serait que Pollaiuolo n’ait pas cherché à représenter une bataille historique ou mythologique précise.
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Étienne Delaune s’installe à Strasbourg entre 1572 et 1582, afin de fuir les persécutions infligées aux Protestants à Paris. Ses réalisations détonent dans l’environnement germanique de la seconde moitié du XVIe siècle dans lequel baigne la ville. Delaune y importe un imaginaire ornemental riche, proche de l’École de Fontainebleau.
Sa gravure au burin d’Adam et Ève présente les personnages dans un environnement riche en allusions au Temps ou à la Mort. De nombreux détails renvoient par ailleurs à la Mélancolie, dont le chien et le cygne sont les attributs.
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Le Tournoi de Lucas Cranach surprend dès le premier regard par le foisonnement des personnages et la richesse des détails qui animent la scène. Cette œuvre fait partie d’une série de trois gravures sur bois datées de 1509, qui représentent chacune une scène de joute à la lance ou à l’épée. Bien que le titre de l’œuvre fasse penser à une représentation générique, l’artiste s’inspire d’un tournoi bien réel qui a eu lieu l’année précédente à Wittenberg. C’est dans cette ville que Cranach s’installe en 1505, devenant alors peintre à la cour du prince-électeur de Saxe Frédéric le Sage. Celui-ci lui confère des armoiries : un serpent ailé portant une couronne et tenant un anneau dans sa bouche. L’artiste utilise ce blason accompagné de son monogramme pour signer ses œuvres, comme on peut le voir ici en haut à droite de la scène.
Tout comme la chasse, le tournoi était une activité de divertissement appréciée des nobles, et pour eux l’occasion de manifester habileté et puissance au cours d’un affrontement.
C’est bien ce que nous donne à voir Cranach par ces dizaines de cavaliers armés de bâtons, de lances ou d’épées. L’artiste multiplie les détails ornementaux, comme les scènes mythologiques représentées sur les caparaçons des chevaux. L’équipement extravagant des jouteurs rivalise avec l’élégance des costumes des spectateurs installés sur une estrade à l’arrière-plan. Parmi eux, deux hommes portent les blasons de combattants en train de s’affronter. Les armes du prince-électeur de Saxe figurent également sur la tapisserie suspendue au rebord de la tribune, où l’on voit une représentation de Samson combattant un lion à main nue. Cet épisode biblique devait inspirer force et courage aux concurrents du tournoi. Plus qu’un simple ornement, on peut y voir une double mise en abyme de la part de l’artiste : la tapisserie est une "œuvre dans l’œuvre", un exemple des éléments de décor que l’atelier de Cranach réalisait à l’occasion de telles festivités. D’autre part, Samson est représenté à la même échelle et avec les mêmes traits que les jouteurs, comme s’ils faisaient partie de la même scène, leur permettant ainsi de mieux s’identifier au puissant héros.
Lucas Cranach a réalisé une première gravure sur bois représentant un tournoi en 1506. Pour celle dont le Cabinet des Estampes conserve un exemplaire, l’artiste semble s’être inspirée de deux autres œuvres. La première est une gravure sur cuivre attribuée au Monogrammiste MZ, datée de 1500. Cranach en a tiré la figure d’un écuyer de dos au premier-plan, se penchant pour ramasser une arme tombée au sol, ainsi que le dynamisme et la variété des attitudes des combattants. La seconde source d’inspiration de Cranach serait une tapisserie réalisée en 1494-1498 et offerte au prince-électeur Frédéric le Sage à l’occasion d’un tournoi donné à Anvers. Cranach a peut-être vu cette tapisserie à Wittenberg, où elle est mentionnée dans un inventaire daté de 1527.
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Chefs-d’œuvre du burin, Le Chevalier, la Mort et le Diable, Saint Jérôme dans sa cellule (1514) et La Mélancolie (1514) comptent parmi les trois pièces les plus célèbres de Dürer. En 1513 et 1514, l’artiste délaisse la peinture et la gravure sur bois pour s’adonner à la seule activité de buriniste. Durant ces deux années, treize planches datées seront ainsi créées, dont les trois Meisterstiche ou cuivres magistraux abordés ici.
Au travers d’une iconographie complexe, les trois oeuvres majeures développent exposent chacune une représentation des vertus cardinales - morale dans la gravure examinée, théologale dans celle de Saint Jérôme, ou intellectuelle dans La Mélancolie - qui induisent pour l’homme des formes d’engagement distinctes dans la vie : par l’acte, la contemplation spirituelle ou la pensée créatrice.
Dürer insiste sur l’importance de la première gravure, le Chevalier, en faisant précéder la date d’un S, abréviation du mot Salus, comme il en avait déjà usé dans les projets d’introduction à son Traité des proportions du corps humain, écrits en 1512 et 1513.
Un cavalier en armure, d’allure très fière, traverse en compagnie de son chien un paysage encaissé et accidenté, déterminé à atteindre le bourg fortifié perceptible à l’arrière-plan, tandis que deux figures surgissent à côté et derrière la monture et semblent vouloir détourner l’homme de son but. La Mort montée sur une haridelle épuisée, agite menaçante le sablier ; le Diable à groin de pourceau tente de s’agripper au dos du cavalier. L’artiste réalise ici un véritable arrêt sur image : le cheval, dans une posture proche de la statue vénitienne du Colleoni, s’immobilise devant la tête de mort posée sur le sol, avertissement de la fin inéluctable de cette marche en avant. Lui faisant écho, le sablier à moitié vide laisse entendre que le cavalier est sur le point de franchir le seuil de la maturité. Dürer, en fixant l’instant précis où le temps semble en suspens -du moins souhaiterait-il qu’il le fût -, traduit le sentiment le plus douloureux pour un homme, celui qui lui fait prendre conscience de sa finitude et de son impuissance à arrêter l’irrésistible écoulement du temps. L’artiste est seul libre de fixer le moment pour son "arrêt sur image", la fuite du temps, elle, ne se fixe pas ; d’où la tension dramatique de l’œuvre. L’écriture subtile et très serrée de cette page révèle une parfaite adéquation avec le questionnement de l’être en perpétuel état de crise. Artiste et protagoniste de l’image sont deux acteurs distincts, contrairement à la Mélancolie.
Le Chevalier, la Mort et le Diable ont suscité, outre une fascination, d’innombrables interprétations, qu’il est admis de ranger en deux catégories. La première considère que le cavalier est un soudard, autant complice que victime de la Mort et du Diable, prêts à l’emmener dans une course infernale qui serait assimilable à une forme de chasse sauvage ou de danse macabre. La deuxième catégorie, regroupant les points de vue de Sandrart, à la fin du XVIIe siècle, ou de Wölfflin et de Panofsky au XXe siècle, voit dans le cavalier de Dürer, la représentation du chevalier chrétien parvenu à vaincre ses deux ennemis, la Mort et le Diable ; interprétation traditionnellement retenue aujourd’hui.
Dans son Journal de voyage aux Pays-Bas, Dürer mentionne la gravure uniquement sous le nom de Reuter, "le Cavalier" (Rupprich, Nachlass, I, p. 162 et 166), et dans un passage où il implique Erasme de Rotterdam et en évoque l’Enchiridion militis Christiani (le Manuel du soldat du Christ), il précise : "Ecoute, ô chevalier du Christ (du Ritter Christi), viens te ranger aux côtés du Christ Notre Seigneur, protège la vérité, obtiens la couronne des martyrs !" (Rupprich, Nachlass, I, p. 171). L’idée de comparer le chrétien en prise avec un monde hostile à un soldat au combat remonte à saint Paul, perdure durant tout le Moyen Âge, et se retrouve chez Erasme. En quelques lignes magistrales, il donne à la foi chrétienne sa valeur d’engagement : "Afin que vous ne soyez pas détournés du chemin de la vertu parce qu’il apparaît ardu et lugubre, parce qu’il peut exiger que vous combattiez incessamment trois ennemis déloyaux, qui sont la chair, le diable et le monde, voici une troisième règle qui se propose à vous : tous ces mauvais esprits et ces fantômes qui viennent vous assaillir comme dans les gorges de l’Enfer, vous devez les compter pour rien, suivant l’exemple de l’Enée de Virgile."
Ainsi, la figure équestre monumentale du Chevalier incarne l’idéal du chrétien qui, avec une fière détermination, tel un soldat au combat, poursuit l’objet de sa quête sans se laisser détourner par les pièges de ce monde ni par ses tourments intérieurs, symbolisés par la Mort et le Diable que Dürer réduit ici à l’état d’apparitions fantasmagoriques. Leur inconsistance grotesque et leur néantisation sont d’ailleurs soulignées par une présentation en raccourci et partielle, de surcroît. Le couple fusionnel de l’homme et du cheval, en revanche, se déploie majestueusement sur toute la largeur de la feuille en s’offrant de profil, selon le point de vue le plus à même de rendre compte de la perfection des proportions et de l’anatomie, autant que des frissons de vie qui parcourent figures et paysage pris dans un réseau de traits aux vibrations infiniment subtiles.
Issu d’un pays encore bien empreint de culture médiévale, Dürer, environ six ans après son retour d’Italie, crée l’une des gravures au burin les plus saisissantes de cet art, comme de tout l’art occidental, où il tient magistralement en équilibre ses tensions contradictoires intérieures : esprit germanique exacerbé et sensibilisation à l’esthétique nouvelle de la Renaissance italienne.